Sunday, November 8, 2009

FREINS & CONTREPOIDS. LIBERTÉ, SÉCURITÉ, FISCALITÉ
" ... aujourd'hui, ce sont les richesses qui font la puissance" — Montesquieu

Par AM

Plusieurs articles de La Nacion rendent compte de la crise en Argentine sous des angles très divers : économique et fiscal, politique et social, etc. Mais on voit bien ce qui manque à ces analyses partielles: un essai d'explication d'ensemble. Un auteur fait référence à la crise de sûreté ; un autre parle de "crise fiscale". Ce n'est même pas un dialogue de sourds entre économistes et analystes politiques : il n'y a pas de dialogue! Et c'est là qu'intervient Montesquieu, peut être le plus grand économiste politique de tous les temps. Le célèbre chapitre 12 du livre XIII donne le ton : "Règle générale : on peut lever des tributs plus forts, à proportion de la liberté des sujets". On pourrait citer, à ce propos, le tout aussi célèbre passage sur les impôts en Angleterre (XIX, 27), ainsi que l'éloge de d'Alembert de 1755. Un refrain espagnol dit : "A buen entendedor, pocas palabras". En Argentine, la crise de sûreté est inséparable de la crise fiscale. Moins le gouvernement se soucie de protéger les citoyens, moins il en tirera d'impôts, et plus la crise fiscale sera grave. Dans son étude sur Montesquieu et la fiscalité, Céline Spector écrit : "Définie comme opinion que l'on a de sa sûreté, la liberté est proportionnelle au nombre et aux modalités des procédures judiciaires qui permettent de protéger les droits individuels, en particulier l'innocence" [1]. Or, c'est exactement ce qu'on observe en Argentine! (Voir les références de Mariano Grondona à la notion de "proceso debido", dûrement bafouée ces dernières années). Pour obtenir des ressources fiscales, il faut de la sûreté et de la liberté. Si l' Etat argentin néglige ces dernières, peut-il en même temps se plaindre de la paucité de ses ressources fiscales? Un dernier mot. Une trouvaille de Jean Ehrard montre à quel point le jeune Montesquieu s'intéressait à ces questions [2]. Dans un Mémoire sur les dettes de l'Etat de 1716, adressé au Régent, Montesquieu semble consentir à une fiscalité plus lourde ... en échange de davantage de liberté pour les villes et les provinces. Liberté, sûreté, fiscalité!

[1] Céline Spector: "Quelle justice? quelle rationalité? La mesure du droit dans l'Esprit des lois", Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2005; [2] Jean Ehrard: "A la découverte des finances publiques : le Mémoire sur les dettes de l'Etat" (Grenoble : Cahiers Montesquieu, 1999), 127-142.

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